CHAPITRE 12

Je donnai un coup de poing qui atteignit Marco à la tempe. Il fit un bond en arrière, et je frappai à nouveau. Mais Marco était vif. Il esquiva mon deuxième coup, je glissai, et je m’étalai.

Marco arracha le dessus de lit, m’immobilisa les bras avec et s’assit sur moi.

— Cesse de te conduire comme un gosse, Jake !

J’essayai de l’empoigner, mais il me tenait bien.

— Lâche-moi !

— Pas question. Tu t’imagines que c’est une simple coïncidence s’il s’intéresse subitement à ce qui s’est passé sur le chantier de construction ?

Je me rendis compte que cela semblait effectivement bizarre, sans cesser pour autant de me démener et de donner des coups de pied à Marco.

Soudain, je songeai à l’odeur que j’avais flairée sur Tom quand j’étais morphosé en chien. Et puis il y avait ce rire que j’avais entendu dans le chantier.

Mais non, impossible ! Il s’agissait de Tom, de mon grand frère qui jamais, non jamais, n’aurait laissé ces répugnantes larves s’introduire dans sa tête.

— Je te laisse te relever si tu te calmes, dit Marco. Mettons que je peux me tromper, d’accord ?

J’arrêtai de me débattre, et Marco me libéra.

— Reconnais quand même, Jake, que ça paraît bizarre.

— Tom n’est pas un Contrôleur, compris ? Point final, dis-je.

— Comme tu voudras. Mais ne t’amuse plus à me taper dessus, parce que je serais obligé de me défendre.

A ce moment-là, j’entendis une sorte de froufrou à la fenêtre de ma chambre, comme si on frappait tout doucement aux carreaux. Je m’approchai, suivi de Marco.

Un oiseau était perché sur le rebord de ma fenêtre, un oiseau énorme, ressemblant à un aigle ou à un faucon, qui battait des ailes contre les vitres.

< Ouvre-moi, tu veux ? Je ne peux pas rester comme ça éternellement ! >

Les yeux de Marco s’arrondirent de surprise. Il avait entendu, lui aussi.

J’ouvris la fenêtre, et l’oiseau entra aussitôt. Il se posa sur ma commode. C’était un rapace de près de soixante-dix centimètres de long, presque entièrement brun, avec des serres recourbées et un redoutable bec crochu.

— C’est un aigle ou quelque chose de ce genre, dit Marco.

< Un faucon à queue rousse >, précisa Tobias.

— C’est toi, Tobias ? s’étonna Marco. Je croyais qu’on avait décidé de ne plus morphoser.

< Je n’ai jamais été d’accord sur ce point. >

— Eh bien, dépêche-toi de démorphoser, Tobias, ordonnai-je. Tu te rappelles ce qu’a expliqué l’Andalite : ne jamais rester plus de deux heures dans une animorphe, sinon…

Tobias hésita. Sa tête de faucon s’inclina et m’examina avec une incroyable concentration. Finalement, il vint se poser sur mon lit.

Croyez-moi, voir des plumes se transformer en peau est positivement stupéfiant.

Les rémiges brunes se rapprochèrent, fusionnèrent et devinrent roses. On aurait cru qu’elles fondaient, comme si elles étaient faites de cire et qu’on les chauffait.

Le bec disparut rapidement, et il en sortit des lèvres. Les serres se divisèrent en cinq et formèrent des orteils.

Au milieu du processus de l’animorphe, Tobias était un être mi-brun mi-rose, avec des dessins en forme de plumes encore visibles sur le dos et la poitrine. Son visage était menu et quasi humain, à l’exception des yeux perçants de faucon. Deux petits bras rabougris poussèrent sur sa poitrine, terminés par des doigts de bébé.

C’était un spectacle assez répugnant.

Mais l’ADN humain finit par l’emporter sur celui du faucon, et Tobias devint plus présentable. Trois minutes environ après le début de l’animorphe, c’est un Tobias bien humain qui était assis tout nu au pied de mon lit.

— Je n’ai pas encore trouvé le truc pour morphoser les vêtements, comme Cassie, avoua-t-il d’un air penaud. Tu peux me prêter des fringues ?

Je lui passai un pantalon et une chemise, mais aucune de mes chaussures n’avait la pointure voulue.

— C’est la chose la plus géniale que j’aie faite de ma vie, s’enthousiasma Tobias le visage illuminé. J’utilisais les thermiques.

— Qu’est-ce que c’est, un thermique ? demandai-je.

— C’est de l’air chaud qui s’élève du sol. Ça forme un coussin sous tes ailes, et tu te laisses porter en plein ciel ! Il te suffit de surfer sur les thermiques. Faut absolument que vous essayiez ça, les gars ! C’est prodigieux !

— Tobias, comment tu t'y es pris pour morphoser en faucon ? demandai-je.

— Il y a un faucon blessé dans la grange de Cassie, répondit-il. Il y a également un pygargue qui n’est pas mal non plus, mais j’ai préféré le faucon.

— Comment as-tu pu voler, si le faucon était blessé ? m’étonnai-je.

Marco secoua la tête avec pitié.

— Jake, tu n’écoutes donc jamais, en classe de biologie ? L’ADN n’a rien à voir avec les blessures. Ce n’était pas l’ADN qui était cassé, seulement une aile.

Je ne relevai pas et continuai :

— Tu as eu du pot de ne pas te faire pincer par le père de Cassie.

— Il est tellement déprimé, soupira Tobias.

— Qui est déprimé ? Le père de Cassie ?

— Non, le faucon. Je crois qu’il se rend compte qu’on ne lui veut pas de mal, mais il ne supporte pas de rester enfermé jusqu’à ce que son aile cicatrise. (Les yeux de Tobias exprimèrent soudain une grande tristesse.) C’est horrible d’être obligé d’emprisonner des oiseaux dans des cages. Ils sont faits pour être libres.

— Très juste, libérez les oiseaux, ricana Marco d’un air sarcastique. Je vais tout de suite faire imprimer les autocollants.

— Tu réagirais différemment si tu avais été là-haut avec moi, rétorqua Tobias avec emportement. C’est amusant d’être un chat ou un chien, mais un faucon… c’est la liberté totale, absolue !

Jamais je n’avais vu Tobias aussi heureux. Il faut dire que sa vie familiale n’était pas drôle. En y réfléchissant, une idée me vint brusquement à l’esprit…

Je répétai la recommandation :

— Jamais plus de deux heures, compris ? Tu surveilles le temps passé, d’accord ?

Tobias sourit.

— D’accord. Je n’ai pas de montre, mais avec des yeux de faucon, tu distingues les aiguilles de celles situées à des centaines de mètres au-dessous de toi.

C’est comme si tu étais Superman. Tu voles et, en plus, tu possèdes la super-vision.

— Maintenant, il se prend pour Superman, marmonna Marco.

— Je regardais autour de moi. Je crois que j’espérais découvrir quelque chose de là-haut, expliqua Tobias. Quelque chose pouvant être un Bassin yirk.

L’expression me sembla vaguement familière. Je me rappelai Vysserk Trois parlant de Bassins yirks.

— C’est quoi, un Bassin yirk ? demandai-je à Tobias.

— C’est un endroit où les Yirks vivent à l’état naturel. Tous les trois jours, ils doivent quitter le corps de leur hôte et aller se plonger dans un Bassin yirk pour s’imbiber de substances nutritives. Notamment de rayons du Kandrona.

Marco et moi nous avons échangé un regard soupçonneux. Nous n’avions entendu parler de cela ni l’un ni l’autre.

— Vous vous souvenez, expliqua Tobias, quand l’Andalite nous a ordonné de fuir, je suis resté un instant en arrière. Probable que j’étais trop terrifié pour m’enfuir.

Je secouai la tête. La vérité, c’était que Tobias n’avait pas voulu abandonner le prince Elfangor.

A ses yeux, il était peut-être plus précieux que nous autres.

— Quoi qu’il en soit, il en a profité pour me communiquer… je suppose qu’on pourrait appeler cela des visions. Des images. Des renseignements. Une masse d’informations d’un seul coup, en vrac. Je n’ai pas encore eu le temps de classer tout ça, mais je suis au courant des Bassins yirks et des rayons du Kandrona.

Marco leva la main pour le faire taire.

— Je vais vérifier un truc, dit-il et il ouvrit la porte de ma chambre pour inspecter le couloir désert. Ça va, on peut y aller.

Tobias lui lança un regard interrogateur.

— Tom, expliqua Marco. Il est avec eux.

— Arrête, ne recommence pas, m’écriai-je. Tom n’est pas un Contrôleur…

— De toute manière, il faut être prudent, dit Tobias en baissant la voix. Le Kandrona est un appareil qui produit des particules Kandrona. Une sorte de version portative du soleil des Yirks. Pour vivre, ils ont besoin de particules Kandrona comme les humains ont besoin de vitamines. Les particules Kandrona sont donc produites par cet appareil et sont concentrées dans le Bassin yirk. Tous les trois jours, chaque Yirk doit quitter son hôte et se plonger dans le bassin. Il s’y imbibe de particules avant de réintégrer le corps de l’hôte.

— Quel rapport avec tes évolutions aériennes style Superman ? demandai-je.

— Eh bien, maintenant, ça paraît un peu idiot, mais je m’étais dit que je découvrirais peut-être le Bassin yirk, répondit-il avec un sourire triste. J’ai vu un tas de piscines et quelques étangs. De là-haut, on s’aperçoit qu’il y a de l’eau partout. Mais je n’ai rien remarqué de spécial.

— Et qu’est-ce que tu aurais fait, si tu avais repéré un Bassin yirk ? A quoi ça nous aurait avancés ? voulut savoir Marco.

— A ce moment-là, on aurait pu le détruire, répondit Tobias.

— Faux, décréta Marco. On a décidé de ne pas se mêler de ça.

— Non, on a décidé de ne pas prendre de décision pour l’instant, rectifiai-je.

— Eh bien moi, j’ai pris ma décision, dit Tobias.

— Voilà le trouillard brusquement transformé en héros, ricana Marco.

Cette fois, Tobias ne rougit pas.

— Peut-être que je viens seulement de découvrir une raison valable de me battre, Marco.

— Tu n’es même pas fichu de te défendre quand on t’attaque, insista Marco.

— Ça, c’était avant, avoua doucement Tobias. Avant l’Andalite. Avant qu’il ne meure en essayant de nous sauver. Je ne peux pas oublier ça. Je ne peux pas admettre qu’il soit mort pour rien. Alors, quoi que vous décidiez, moi je vais me battre.

 

L'invasion
titlepage.xhtml
Applegate,K.A.-[Animorphs-01]L'Invasion.French.ebook.AlexandriZ_split_000.html
Applegate,K.A.-[Animorphs-01]L'Invasion.French.ebook.AlexandriZ_split_001.html
Applegate,K.A.-[Animorphs-01]L'Invasion.French.ebook.AlexandriZ_split_002.html
Applegate,K.A.-[Animorphs-01]L'Invasion.French.ebook.AlexandriZ_split_003.html
Applegate,K.A.-[Animorphs-01]L'Invasion.French.ebook.AlexandriZ_split_004.html
Applegate,K.A.-[Animorphs-01]L'Invasion.French.ebook.AlexandriZ_split_005.html
Applegate,K.A.-[Animorphs-01]L'Invasion.French.ebook.AlexandriZ_split_006.html
Applegate,K.A.-[Animorphs-01]L'Invasion.French.ebook.AlexandriZ_split_007.html
Applegate,K.A.-[Animorphs-01]L'Invasion.French.ebook.AlexandriZ_split_008.html
Applegate,K.A.-[Animorphs-01]L'Invasion.French.ebook.AlexandriZ_split_009.html
Applegate,K.A.-[Animorphs-01]L'Invasion.French.ebook.AlexandriZ_split_010.html
Applegate,K.A.-[Animorphs-01]L'Invasion.French.ebook.AlexandriZ_split_011.html
Applegate,K.A.-[Animorphs-01]L'Invasion.French.ebook.AlexandriZ_split_012.html
Applegate,K.A.-[Animorphs-01]L'Invasion.French.ebook.AlexandriZ_split_013.html
Applegate,K.A.-[Animorphs-01]L'Invasion.French.ebook.AlexandriZ_split_014.html
Applegate,K.A.-[Animorphs-01]L'Invasion.French.ebook.AlexandriZ_split_015.html
Applegate,K.A.-[Animorphs-01]L'Invasion.French.ebook.AlexandriZ_split_016.html
Applegate,K.A.-[Animorphs-01]L'Invasion.French.ebook.AlexandriZ_split_017.html
Applegate,K.A.-[Animorphs-01]L'Invasion.French.ebook.AlexandriZ_split_018.html
Applegate,K.A.-[Animorphs-01]L'Invasion.French.ebook.AlexandriZ_split_019.html
Applegate,K.A.-[Animorphs-01]L'Invasion.French.ebook.AlexandriZ_split_020.html
Applegate,K.A.-[Animorphs-01]L'Invasion.French.ebook.AlexandriZ_split_021.html
Applegate,K.A.-[Animorphs-01]L'Invasion.French.ebook.AlexandriZ_split_022.html
Applegate,K.A.-[Animorphs-01]L'Invasion.French.ebook.AlexandriZ_split_023.html
Applegate,K.A.-[Animorphs-01]L'Invasion.French.ebook.AlexandriZ_split_024.html
Applegate,K.A.-[Animorphs-01]L'Invasion.French.ebook.AlexandriZ_split_025.html
Applegate,K.A.-[Animorphs-01]L'Invasion.French.ebook.AlexandriZ_split_026.html
Applegate,K.A.-[Animorphs-01]L'Invasion.French.ebook.AlexandriZ_split_027.html